
Devenir parent change radicalement et irrémédiablement la vie. Ce petit bout de chou vous regarde avec ses grands yeux et découvre le monde à vos côtés. Quels principes éducatifs choisir pour l’accompagner dans ses apprentissages ? Est-ce que hurler et se fâcher est la solution pour avancer ? Et si, pour vivre joyeusement votre rôle de parent, vous testiez la bienveillance éducative ? Anne Lapie, de Happy Ménagerie, répond à mes questions pour en savoir davantage sur la bienveillance éducative.
La bienveillance éducative est une expression que nous lisons un peu partout. Pourtant, je pense que nous ne sommes pas tous en mesure d’en donner une définition claire. Peux-tu, Anne, m’expliquer ce qu’est la bienveillance éducative ?
Question intéressante ! Parce qu’effectivement difficile à définir cette bienveillance dont on parle tout le temps ! On a parfois l’impression que c’est dire oui à tout, ne pas faire pleurer l’enfant ou que ce sont juste des tournures de phrases à appliquer… Je dirais que la bienveillance éducative c’est sortir du rapport de force entre enfant et adulte. C’est repenser l’éducation sans ce rapport de force. Vous savez ce truc qu’on a (presque) tous en tête : « Non, mais ce n’est pas lui qui aura le dernier mot » / « Il va voir qui commande ici » / « L’enfant est un petit être à dresser ». L’idée est donc d’accompagner l’enfant, sans penser qu’il veut nous embêter, mal faire, etc. Et sans, de notre côté, imposer notre point de vue, penser qu’il va gagner et nous perdre ou l’inverse.
Concrètement, c’est donner à l’enfant le même respect que l’on donnerait à un adulte, les mêmes égards. Bien sûr avec des réponses adaptées. C’est partir de son point de vue. Je vous donne un exemple qui m’est arrivé pas plus tard qu’hier et qui m’a fort interpelé : j’étais allé chercher mon fils à l’école. Je l’avais retrouvé dans la cantine pour le goûter et nous étions en train d’en sortir, lui devant. Une maman, qui venait récupérer sa fille et qui était près de la porte, lui a pris le bras très fermement en fronçant les yeux et lui dit de manière forte et autoritaire « Mais oh ! Tu vas où toi là ? ». Elle ne m’avait pas vue et pensait que mon fils sortait seul, sans doute. Néanmoins, est-ce que l’on ferait de même avec un adulte qui utiliserait une sortie non autorisée ? Non. Comment faire alors, le laisser partir ? Non plus. On peut simplement s’adresser gentiment à l’enfant : « Est-ce qu’il y a quelqu’un avec toi pour sortir ? », sans lui prendre le bras en étau, mais simplement en l’interpelant (d’autant qu’elle était devant la porte, elle lui barrait de toute façon le passage). S’il n’y avait eu personne, elle aurait simplement pu lui rappeler que la règle est qu’on ne sort pas sans adulte, que le risque est que sa maman ne le retrouve pas quand elle viendra le chercher.
C’est ça la bienveillance envers les enfants. Au lieu de penser : cet enfant va filouter, il faut que je le « dresse » ; penser : si cet enfant fait cela, il y a une raison, je vais l’accompagner. Cependant, c’est compliqué à mettre en place, parce que rares sont les parents qui ont été accompagnés de la sorte. De plus, nos neurones miroirs nous jouent des tours : notre mécanisme premier en face de tout comportement d’enfant, c’est celui que nous avons nous-mêmes vécu enfant, même si nous avons très envie d’être bienveillant !
Qu’est-ce qui a entrainé ton intérêt pour la bienveillance éducative ?
Ça a commencé très tôt ! À 6 ans, je me demandais (déjà !) pourquoi il n’y avait pas d’école pour les parents… Certaines réactions de parents me semblaient tellement illogiques par rapport à ce que je vivais moi, enfant ! J’ai encore beaucoup de souvenirs de mon enfance. Ça m’aide au quotidien pour comprendre le point de vue de l’enfant. Ensuite, le constat est que bien des choses qui m’ont été dites enfant me guident encore malheureusement aujourd’hui. Des choses négatives comme « tu ne vas jamais jusqu’au bout des choses » ou « tu ne réussiras jamais à rien dans la vie, tu es trop émotive». Ce qui est faux bien sûr.
Un jour, alors que je n’étais qu’une jeune fille, j’ai vu lors d’un vernissage (le truc le plus pénible à vivre pour un petit – croyez-moi, j’en ai fait beaucoup) une maman qui réussissait devant moi un miracle : elle prenait soin des besoins de sa petite fille qui devait avoir 3 ans tout en écoutant les discours. C’était beau. C’était reposant. Je me suis juré que je ferai comme elle. Et puis, il y a eu la naissance de mon fils, cet enfant complexe. Tout était dur et difficile : les nuits, les tétées, les câlins, la journée où il pleurait des heures durant… Je me suis renseignée, j’ai lu, relu, potassé, suivi des conférences, des ateliers… Pour trouver l’équilibre, j’étais intimement persuadée qu’il y avait une autre voie que celle que je voyais habituellement et que je trouverais moi aussi un rapport à l’enfant qui me conviendrait.
Comment peut-on appliquer, dans nos familles, la bienveillance éducative ?
Je crois que la première chose c’est d’en avoir envie, idéalement que le couple en ait envie. Ensuite, il faut si l’on en ressent le besoin : se renseigner, suivre des blogs, lire des ouvrages. Si l’on peut, rencontrer d’autres familles bienveillantes, ça aide beaucoup ! Suivre des ateliers, des conférences aussi. Une chose importante aussi est d’éviter deux écueils : la peur et l’inadéquation. Je pense que tous ceux qui ont tenté l’éducation bienveillante (et j’espère qu’ils continuent) se retrouvent un jour ou l’autre face l’un ou l’autre de ces deux problèmes :
- la peur de mal faire (souvent liée au regard des autres) soit en n’étant pas assez bienveillant : « Oh ! Elle se dit bienveillante et tu as vu : elle a haussé le ton ! », soit en l’étant trop : « Tu vas en faire un enfant roi » ou « De toute façon, ce n’est pas prouvé, c’est une lubie !» (je vous rassure tout de suite, pas du tout, il y a plein d’études !) ;
- l’inadéquation entre sa volonté de respecter au mieux son enfant, d’être le plus bienveillant possible… et la réalité (on crie, parfois on tape, on menace ou fait du chantage… tout en sachant qu’il ne faut pas le faire), ce qui fait parfois lâcher l’idée de continuer dans cette voie.
Mais au-delà de l’idée, de la lecture d’ouvrages et des deux écueils dont je parlais plus haut, il est généralement nécessaire de faire un travail sur soi. C’est psychologiquement très dur de ne pas reproduire ce que nous avons subi pendant notre enfance. Ça demande un effort considérable au cerveau. C’est loin d’être facile, il faut le dire ! C’est là qu’il est intéressant d’être accompagné. Quand on a la volonté, mais que pour une raison que l’on ignore on n’y arrive pas aussi bien que l’on voudrait. Cela ne demande pas beaucoup de séances, mais elles sont parfois nécessaires. Après, il y a plein d’astuces, de petits jeux, d’outils pour appliquer la bienveillance éducative au quotidien. J’aurais du mal à en faire une liste ici, il y en a tellement ! D’ailleurs quand un parent me demande de l’aide, je n’ai pas de réponse toute faite avec les « 4 astuces pour calmer la peur de votre enfant » par exemple. Si c’était aussi simple que ça, ce serait facile. Je lui propose des choses adaptées à la situation et à sa vie de famille. Sinon, une petite astuce que j’aime bien, c’est de penser l’autorité comme Gordon : penser l’autorité en termes de compétences : votre enfant vous écoute parce que vous êtes plus compétent que lui. Pas parce que vous êtes plus grand et que vous avez un pouvoir physique sur lui ! C’est cette compétence qui doit vous guider.
Si tu devais convaincre un sceptique, que lui dirais-tu pour le faire changer d’avis ?
Pas facile de convaincre quelqu’un qui ne veut pas… J’aimerais lui parler de ces enfants qui ne sont pas détruits par le pouvoir des adultes, de la crise d’adolescence qui sera plus facile, du lien incroyablement respectueux qui restera entre lui et ses enfants même adultes, du fait que son enfant sera plus compétent (hé oui, au lieu d’apprendre à respecter un « non » il apprendra quelque chose à chaque refus) et plus réfléchi aussi (attention, point Godwin : des enfants qui n’apprennent que le respect inconditionnel c’est du pain béni pour les extrémistes – il n’y a qu’à voir le film Le ruban blanc). Il faudrait que je sache pourquoi il ne veut pas être convaincu parce qu’aujourd’hui il y a des études qui montrent les méfaits des punitions par exemple. Il est probable que ce soit la peur qui l’empêche de penser que c’est une bonne solution : peur de remettre en cause ce qu’ont fait ses parents, ou peur de ne pas paraître un « vrai parent », qui met beaucoup de « limites ». Il faudrait faire tomber ces peurs… Ce n’est pas toujours facile. Il ne resterait plus que l’exemple. Je crois que c’est comme ça que l’on convainc le plus, non ?
Merci à Anne Lapie. Pour en savoir davantage sur la parentalité bienveillante, vous pouvez vous abonner à sa NL sur le site d’Happy ménagerie ou suivre Anne Lapie sur Facebook, Instagram ou Twitter.
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Très inspirant, merci !
Je trouve aussi 🙂