Indochine, Viêt Nam, Annam, Hué autant de lieux à plus de 13 000 kilomètres de moi, inconnus et connus à la fois. Le 20 février 1949, mon grand-père arrive sur cette terre étrangère, loin de sa Sarthe natale. Durant des mois, il occupera ses temps libres, sa solitude à écrire à sa mère, son frère et des dizaines d’autres personnes.
Depuis le début du mois de mai 1949, la 3e légion a définitivement abandonné le Viêt-nam-Sud et son secteur de Bentré pour se regrouper, peu à peu, intégralement au Tonkin (à l’exception du 3e escadron, chargé de l’encadrement de la garde annamite à Hué et à Tourane).Erwan Bergot
Certaines de ses lettres sont arrivées jusqu’à moi. Je découvrais à travers ses mots un autre pan de sa vie, si différente de celle du « papy ». J’essayais d’imaginer le quotidien de ce jeune gendarme parti de sa campagne vers cette destination lointaine, vers une culture si différence de la sienne.
À travers les photos qu’il a prises durant ses deux ans en Indochine, je découvrais un monde disparu depuis plus de cinquante ans. Des lieux qu’il avait essayé de revoir lors d’un voyage dans les années 1990, des instants qu’il avait voulu retrouver tant il les avait occultés durant des décennies.
Quelle mémoire avions-nous de cette partie de sa vie, nous, sa famille ? Rien. Enfin, rien jusqu’à ce que je découvre ces lettres, ces photos lors du déménagement de sa maison, jusqu’à ce que je les récupère et les lise.
Pourtant, j’avais du mal à me représenter le combat, ses missions sur place. Il cherchait à rassurer ses parents ou à raconter sa routine au fin fond de la brousse. En cherchant sur des forums, j’ai découvert le livre d’Erwan Bergot Gendarmes au combat, Indochine 1945-1955.
L’auteur, engagé militaire en Indochine jusqu’à la chute de Diên Biên Phu en 1954, rend compte des dix ans de conflits, du quotidien aux affrontements. Avec ce récit, j’arrivais à percevoir les silences des lettres, à imaginer la vie avec les « copains » et les « partisans » dans les postes, à comprendre son sentiment d’isolement. Les mots d’Erwan Bergot ont enrichi ma connaissance de ce conflit, souvent méconnu en France, et de la vie indochinoise de mon grand-père.
Le courrier est la seule chose importante, celle qui rompt la solitude. Les gardes supportent tout, l’insécurité de leur situation, l’éloignement de leurs chefs, l’appréhension de la blessure, la rusticité des installations. Les lettres, envoyées ou reçus, sont le lien, la preuve tangible qu’il existe, ailleurs, une autre vie, celle qu’on a laissée quelque part en France.Erwan Bergot